Vsprs - Alain Platel - Les Ballets C de la B

Publié le par nectar.safran@hotmail.fr

 Festival In - Avignon - Cour du lycée Saint-Joseph

Vêpres : vespres, fin XIIe, lat, relig, vesperae, de vespera "soir" - Heures de l'office, dites autrefois le soir, aujourd'hui dans l'après-midi (après nones et avant complies).                                                

                                                            Là, il était 22 heures.

Tout de suite la pâte C de B : une scénographie majestueuse, une musique live faite pour envahir de grands espaces, des interprètes exceptionnels, le thème des Vsprs me rapelle Foi de Sidi Larbi Cherkaoui qui m'avait saisie deux ans auparavant à Bruxelles et qui continue à faire son chemin en moi.

 Et dans cet iceberg de tissus blancs, à la droite du spectateur la musique, Monteverdi, un groupe de musique baroque et tzigane, une chanteuse magnifique, une voix qui s'élève directement jusqu'aux cieux, soulève le coeur, et le porte également dans ce mouvement vertical, en partant du bas ventre. La musique baroque, j'en avais déjà parlé dans le Boivin a une beauté hors de toute proportion, de l'ordre de l'orgasme comme du sacré. D'ailleurs, il suffit de lire certains textes religieux pour voir qu'une révélation divine porte cette ambiguité : organique, orgasmique et après, au-delà de la chair, au-delà de tout ; l'illumination.

 Le sacré doit passer par le profane pour s'en extraire. Ce sont deux entités distinctes qui s'opposent l'une à l'autre, et n'existent que l'une par rapport à l'autre, qui impliquent une hiérarchie de valeurs et de croyances. Le sacré est ce qui culmine, ne souffre aucune opposition, concession, ce qui est au-delà, ne se comprend peut-être même pas, ce à quoi on accède après des rites, une préparation, pour s'extraire de tout ce qui nous entoure et nous compose ; le profane. Caillois et Eliade en parlent très bien. Nous sommes censés être une société d'athés, mais même si Dieu est mort et la religion avec lui, le sacré et ses rites, semblent faire partie de l'humain dès lors qu'il a un résidu de conscience, ainsi le sacré est juste transposé ailleurs, en politique, on a vu les dégâts que ça a déjà fait  dans le marxisme, exemple paroxystique de schizophrénie athée, ou dans la poursuite du rien parce que même si c'est le rien, l'être humain a besoin d'un but, consumériste, hédoniste, peu importe, il court après son ombre, avec des rites, cryptoreligieux, d'autant plus risibles qu'ils s'ignorent comme tels.

 Je crois que l'homme, même le plus stupide, se retrouve de façon plus ou moins consciente face à sa condition d'Horizontal, il sait qu'il est mortel, alors il se cherche une verticalité, quelle qu'elle soit. Dans un cas il est à terre, dans l'autre il se croit debout.

 Comment dire ? Choisir cette musique et ce propos est d'une ambition folle et nécessaire. Comment ne pas faire le parallèle avec l'art, avec notre société contemporaine et encore plus avec la danse : être debout, être horizontal, être chair, aller par-delà ses limites, creuser verticalité et horizontalité, et faire de tout ça, la danse.

 Pourtant j'ai été déçue, je crois que Platel n'a pas été à la hauteur de son propos : l'humour c'est comme pincer le quotidien pour lui faire mal tout en le chatouillant et là, en guise de profane, on a un discours qui se veut drôle sur le caca, qui applatit plus qu'il ne se fait signifiant. Le choix du travail sur l'hystérie a le danger des évidences : c'est certes un état de corps qui permet d'explorer l'excès et les limites du corps mais attention au sens, il s'agit d'une névrose de symptômes organiques qui traduisent en réalité des troubles neurologiques, psychologiques ; c'est une pathologie de la simulation en quelque sorte. Beaucoup (trop) de chorégraphes s'intéressent à l'hystérie comme un raccourcis vers l'exploration du dépassement de soi (dépassement du corps et de la raison), tout en affichant finalement une véritable indifférence pour cette souffrance, ce qu'elle est et représente. L'hystérie n'est pas une étape vers un état de transe, ce n'est pas la même chose, il serait temps de le comprendre.

 Heureusement il y a cette scène finale, sur le magnificat où la transe se fait chair et orgasme, passage du profane au sacré. Platel a mis tout son spectacle pour aller à l'essentiel, après moultes bavardages horizontaux, il trouve enfin sa verticalité. Toutefois, il faut du temps pour dépasser le profane, tout ce bavardage n'était peut-être que rite, celui des chorégraphes contemporains qui essaient de trouver du sens, englués dans notre contemporanéité certes plutôt hystérique, pour atteindre, enfin, le moment de grâce.

 Voir également l'article du Tadorne : parce qu'il est bon de voir que nous ne sommes pas formatés et qu'à chaque spectacle, un millier de ressentis.

Publié dans Danse

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L
Mais oui et c'est cela qui est merveilleux! Nous TRADUISONS!! Je crois que Le Tadorne et les Clochettes commencent à faire un joli bruit!!<br /> Merci pour ton blog. C'est une perle.
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N
Merci pour tes commentaires Pascal, tu m'aides énormément dans cette école du spectateur ! Puis vraiment, ça fait  du bien d'avoir des retours, ça permet d'avoir d'autres compréhensions des spectacles, ça fait avancer.
L
Je pense que Platel n'a pas voulu démontrer que la voie vers le sacré passe par l'hystérie. Il nous montre seulement (et c'est déjà beaucoup) que ces gens malades sont compétents pour être créatifs. Il se trouve que leur créativité les conduit vers le sacré. Or, le talent de ces "fous" m'a permis d'atteindre le sublime de l'oeuvre de Platel. Cela m'interroge beaucoup et m'invite en tout cas à changer complétement de regard sur la maladie mentale.
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N
oui, peut-être. <br /> Toutefois, c'est nous qui traduisont en créativité cette pathologie. Néanmoins, tu as raison, ça permet quand même d'avoir un regard autre que celui du simple diagnostique.<br />
L
Comme d'habitude, voilà un article qui vole haut. Avec cette lecture théorique, la pièce de Platel prend bien sûr une autre dimension. Toutefois, je ne crois pas que Platel minimise la maladie mentale car ce n'est pas le propos (ces gens souffrent sur scène, cela ne fait aucun doute pour moi). Il part de la maladie mentale comme processus de déconstruction pour aller au sacré. En dehors de la religion, comment peut-on y aller si ce n'est pas un processus complexe? Ma question reste ouverte.
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N
oui, c'est la question que je me pose à la fin. <br /> Mais le choix de l'hystérie me gêne parce que je ne crois pas qu'il y ait d'évolution possible à partir de l'hystérie, ni à partir de l'autisme (il fait référence à l'autisme dans le papier du festival). Déconstruction il y a, mais elle passe par la maladie mentale et cette lecture là me gêne. Faut il  être malade pour atteindre un état de grâce? <br />  Peut-on aujourd'hui atteindre cet état, avoir une réflexion sur la souffrance et le sacré, sans que ce soit de l'ordre du religieux ou du pathologique ? Voilà peut-être la réponse que j'attendais de cette pièce. J'aurais aimé que Platel trouve la voie sans s'appuyer sur l'hystérie ou l'autisme, trouver un état de corps (l'être et le corps) sans prétexter le pathologique.<br /> En tout cas, ça continue à me faire cogiter et c'est plutôt pas mal !<br />