Récits de femmes et autres histoires - Dario Fo

Publié le par nectar.safran@hotmail.fr

Avant de passer à Harold Pinter, notre nouveau prix nobel de littérature et dramaturge, je voulais en cette nouvelle année, faire un clin d'oeil à Dario Fo, premier dramaturge prix nobel (en 1997), homme de théâtre engagé, molière contemporain qui s'incrit dans la tradition italienne du théâtre corporel et de la comedia del arte.

Le gai savoir de l'acteur est une merveilleuse leçon de théâtre et de  vie, mais ma préférence va au recueil "récits de femmes", co-écrit avec sa femme, Franca Rame, où différentes pièces de théâtre sont réunies, tantôt drôles, souvent acides et parfois terribles. Différents portraits de femmes sont brossés, différentes visions du couple :

 

- un couple ouvert à deux battants : l'homme préfère que son couple soit "ouvert", il impose sa décision à sa femme qui finit par y trouver son compte au plus grand regret de son conjoint. Pièce très drôle, rythmée comme un bon Feydeau, à la lucidité un peu amère sur les contradictions d'une relation où dépendance et indépendance constituent un cocktail molotov, à l'issue potentiellement fatale.

- une femme seule , enfermée physiquement par son mari dans son appartement, enfermée psychologiquement dans sa vie de femme modèle : amante, mère, femme au foyer. MâleBienHeureusement , elle n'est pas victime et va vite changer son fusil d'épaule.

mais il y a aussi l'histoire d'alice au pays sans merveilles, un prologue de médée, des témoignages...femmes abusées, vendues, femmes jalouses, possessives, trompées, militantes, folles.

 

Dario Fo fait sienne la maxime de Molière de faire rire pour mieux enfoncer les clous de la raison mais peut aussi se contenter d'enfoncer le clou. C'est parfois très dur, bien plus efficace (et beaucoup moins bête) qu'un discours féministe parce que c'est écrit à deux mains, par une femme (Franca Rame) mais aussi par un homme et les hommes savent également, merveilleusement, aimer les femmes.

 

(extrait du prologue intitulé "orgasme mâle échappé du zoo - prologue de présentation de l'ensemble des pièces, monologue théâtral des plus intéressants parce qu'il joue sur plusieurs registres.)

 

"Dans des temps très lointains, Lucifer a essayé de déposséder Dieu le père et n'y est pas arrivé. Le mâle, si! Il a mis dans le ciel le meilleur de lui-même, son "machin"! Jamais vous n'entendrez d'expressions gratifiantes faisant intrevenir l'orgasme féminin...sauf peut-être dans la rue, au printemps...

Tout au contraire lorsqu'il s'agit de désigner un imbécile, ou tout simplement un pauvre type, on dit : "Quel con!". S'il est absolument impossible de nommer notre sexe...en public, par exemple dans les procès pour viol, on a recours au latin, une langue morte "Cunno, cunna, cunnis", mot irrégulier de la troisième déclinaison.

Les hommes, eux, dès l'antiquité, ont toujours su désigner leur...organe par des termes altiers, épiques, soutenus, grandiloquents : le prépuce! le gland! le phallus! Des noms qui entreraient parfaitement dans une tragédie d'Euripide. J'ai essayé d'improviser quelque chose de ce genre :

 

Voici qu'en sa grandeur survint le noble Hermion:

face à lui, tout armé, relevant sa visière,

L'invincible Phallus et Gland, son frère aîné,

splendide, et qui montait son étalon piaffant,

Scrotum, dressant bien haut les étendards

le Pénis héroïque attaquant l'ennemi...

 

(....)

Mais essayez un peu de composer un poème classique en y fourrant des termes qui désignent les parties anatomiques du sexe féminin!

 

Quand Briséis la douce avança lentement,

amour du Péléide, on vit se rebeller

Clitoris en fureur...

 

Clitoris c'est affreux, répugnant. Mais vulve, vagin, ovaire, ce n'est pas mieux. Qui donc nous a épinglé des noms pareils! Brrr...j'ai la chair de poule rien qu'à imaginer un poème où il y aurait "vulve"...Peut-être dans un passage de Dante, au chant de l'Enfer:

 

Une bête effrayante apparut à mes yeux,

hirsute, horrible, et qui des dents grinçait, féroce.

Aussitôt tout tremblant je reconnus ses traits :

ce fauve était la vulve, et j'en fus happé vif.

 

Et "vagin", me direz-vous ? Eh bien! ça ne peut que glisser : "je me suis cassé une jambe en glissant sur une écorce de vagin!" A moins qu'on n'en fasse un récit d'horreur :

 

Mille chauve-souris volaient au crépuscule,

les vagins coassaient dans l'étang immobile.

C''était l'heure où parfois ils quittaient leurs ovaires.

Un utérus affreux se dressa dans la nuit,

l'effroi fit trépasser les spermatozoïdes.  "

Publié dans En vrac

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article