Le Bonheur - Agnes Varda

Publié le par Sarah

 

 

 "Ce côté d'addition du bonheur sans remords. C'était ça qui m'intéressait." (voir interview d'Agnes Varda).

  En se renseignant un peu sur le film, en regardant les bonus du DVD, plusieurs éléments ressortent : film utopique, jardin d'eden, la musique de Mozart reflète cette notion de bonheur où il y a comme un ver qui ronge, un pincement, une mélancolie, un film qui endort, un film plus chromatique qu'il n'est réaliste ou psychologique.

 A l'issue de ce film et avant d'écrire ce billet, déjà, j'ai réalisé, que de façon générale, j'étais attirée par ce qui n'était pas tout à fait réaliste et surtout pas psychologique, souvent touchée ainsi, de façon pas vraiment compréhensible mais peut-être plus juste que par tout autre type d'oeuvre (comme avec le livre d'Agota Kristof par ex).

 Ensuite, j'ai constaté qu'il y avait quelque chose de très angoissant dans ce film, notamment pour une jeune personne qui s'ancre dans l'âge adulte où certaines questions doivent trouver réponse à défaut de s'imposer.

 Tout d'abord le synopsis : "Un menuisier aime sa femme, ses enfants et la nature. Puis il rencontre une autre femme, une postière, qui ajoute du bonheur à son bonheur. Toujours très amoureux de sa femme, il ne veut pas se priver, ni se cacher, ni mentir. Un jour de pique-nique en Ile-de-France, tout n'est pas si simple..."

 Les images, d'inspiration impressionniste, sont magnifiques, baignées de couleurs, de félicité, de musique, tellement belles que le film anesthésie, a une image lisse, trop lisse pour être réelle, images idylliques et parfaites.

 Alors bien sûr, dès le départ, il y a quelque chose qui cloche. Les journalistes interrogés sur le Bonheur parlent d'"utopie", du "jardin d'eden" et on comprend bien d'où vient ce "pincement" : la perfection ne renvoie pas à l'humain, l'utopie, si on se réfère  à l'origine de cette notion, c'est à dire à la société idéale de T.More est une notion effrayante et le jardin d'eden renvoie à un paradis perdu, une humanité de souffrance né du désir de l'interdit.

 En même temps, pour la spectatrice que je suis, il y a aussi le sceau historique des trente glorieuses que je n'ai pas connu : l'ouverture des possibles que le personnage d'Emilie incarne, soixante huitarde avant l'heure, une société où le lien social se tissait par les bals du village et où le plein emploi amenait une quiétude et une tranquillité quotidienne presque extra-terrestres semble-til aujourd'hui. Tous ces éléments qui "finissent de parfaire le film dans son abstraction" pour reprendre les termes du journaliste vu dans les bonus.

 Dès lors, il y a une nostalgie prégnante, nostalgie qui ne tarde pas à se teinter brièvement de mélancolie pour finir dans une douceur telle, que de nouveau asthésié, on ne sait plus exactement où se situe la blessure ou la cicatrice.

 Le personnage du menuisier a une vie qui le contente pleinement avec une femme qu'il aime profondément. Puis il rencontre Emilie et du bonheur s'ajoute à son bonheur. Ce bonheur est naturel, ni cherché, ni choisi, ni voulu, naturel, il s'offre et se prend, tout simplement. Il ne s'agit pas d'adultère ou de pamphlet machiste, au contraire, juste d'amour. Il ne le cache pas à sa femme, tente de lui expliquer ce qui lui arrive; ce bonheur qui n'enlève rien à ce qu'il vit avec elle, mais renforce son identité d'homme heureux. Elle le comprend ou tente de le comprendre.

 Et voilà que déferlent les questions : jusqu'à quel point le bonheur peut-il se partager, y a t'il des limites à son propre désir, faut-il le restreindre, le bonheur comme le malheur ou le plaisir et la souffrance ne se heurte-t'il pas à l'altérité plus qu'il ne peut se partager ? Y a t-il égoïsme où il y a bonheur, le bonheur peut-il se conjuguer au pluriel ? Peut-il y avoir "nous" plus qu'il n'y a "je" ? C'est cette dernière question qui est la plus effrayante parce que dans le film, certes il aime deux femmes, il voit et aime leurs différences, mais dans sa définition du bonheur (vie familiale, proche de la nature, baignée de gestes tendres et de mots doux), elles deviennent interchangeables, l'une s'efface en douceur (la question du suicide ou de l'accident importe peu), dans un silence où reprend la musique gaie et insouciamment inquiète de Mozart. Elle cède sa place à l'autre. Et tout reprend comme si de rien n'était, le bonheur a une légèreté que la souffrance n'a pas. 

 Il y a d'un côté un hédonisme innocent et naturel, profondément individuel et un anonymat terrible pour l'objet du désir (du désir amoureux), justement parce qu'il semble se fondre dans ce cadre paradisiaque. Mais "le bonheur - paraît-il - n'est pas gai"...

Publié dans Cinéma

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