Glenn Gould piano solo - Michel Schneider

Publié le par Sarah

Ce livre suit les traces d'une personnalité assez insaisissable mais plutôt fascinante qui le contamine de son emprise musicale et inquiète. L'auteur ne sait pas trop où poser les pieds, s'agit-il du portrait d'un génie ? Oui, on en a bien l'impression. De là, le mystère de comprendre la vie d'un mortel qui n'en est plus tout à fait un.

 Parfois la prose s'emballe, de par l'impossibilité de dresser ce portrait mais aussi par refus d'en dresser un, elle devient lyrique, assaillie de questions, ne sachant comment être à la hauteur de son sujet et de sa musique  ; et c'est ce qui vraiment nous attache à ce livre, cette imperfection noyée de mots, qui nous entraîne et nous emporte à la recherche d'un fantôme et de sa musique.

 Extrait du livre

 Parfois, Gould aurait voulu - désir, disait-il, sur lequel la psychiatrie aurait sans doute beaucoup à dire - se lever de sa chaise en plein milieu de la représentation et crier : "Deuxième prise, on recommence."

Cependant, il avouait aussi que la seule chose qui aurait pu le ramener au concert, comme spectateur, aurait été l'exécution d'une oeuvre inaccessible au disque ou à la radio : "Alors, je prendrais des tranquillisants pour calmer mon angoisse d'être là pendant une heure ou deux, de disparaître de ma vie propre."

Ce qu'il aimait dans l'enregistrement, c'était justement qu'il y eût d'autres prises, un temps recomposé, monté, condensé, comme celui des rêves.

Il savait pourtant que la vie ne laisse pas de seconde prise. Mais il ne voulait pas le savoir. (Peut-être le jeu avec le tempo, toujours à l'envers des idées reçues, ou à l'opposé du tempo précédemment adopté dans une autre prise de la même page, était-il la forme de ce refus.) Il aimait dans le studio cette possibilité de retourner le temps sur lui-même. (La musique, c'est cela, retourner le temps sur lui-même. cette folie de s'en rendre maître nous guette quand nous jouons : le choix d'un tempo pour fuir l'hora incerta, le rubalo, un temps volé à la mort, qu'il faudra bien lui rendre.)

Ses interprétations, pourtant jamais instantanées, mais jamais retravaillées après coup, ont une force de présent qui les singularise. Présent historique, d'abord. Peu de pianistes parviennent comme lui à nous faire contemporains d'une Fantaisie de Sweelinck ou d'une Pavane de Gibbons. Présent psychologique, ensuite. Quand il joue - est-ce une conséquence du fait qu'il travaillait très peu les oeuvres avant de les enregistrer ? -, on pense qu'il n'a pas répété, qu'il ne répète pas, qu'il est là. Le discours est toujours dans la source, une constante énonciation qui parviendrait à se maintenir pure de tout énoncé. Un temps hors du temps ; non pas le temps arrêté de celui qui attend, ni le temps effondré de celui qui angoisse. Un temps libre et plein, aussi habité que celui des Quatre Quatuors de T.S Eliot.

 

Publié dans En vrac

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