La salle de bain - Jean-Philippe Toussaint

Publié le par nectar.safran@hotmail.fr

   

 Après l' Art de la joie, il me fallait une rupture, un petit livre de transition. Fidèle, toujours, à la Belgique, je me tourne vers la salle de bain, premier livre d'un auteur qui avait alors 28 ans, intriguée par sa couverture et les premières lignes. Je ne cesserai jamais de clamer mon amour de l'esprit belge, très souvent grâce à eux, que ce soit spectacles, livres, films, je me retrouve face à de petits objets non identifiés ; la salle de bain en fait partie.

 Le personnage principal de la salle de bain passe ses journées dans ... sa salle de bain, situation incongrue mais apparemment la mieux adaptée à son système de pensée, à sa conception de la vie. De temps en temps, il retourne au contact d'un quotidien "normal" et observe : il pose un regard apparemment froid sur ce qui l'entoure, soucieux du détail, pince sans rire, et dans sa description de faits à priori anodins, de tous les jours avec des monsieur-madame tout le monde, le lecteur sent bien que quelque chose dans ce quotidien est inadapté. Ce n'est pas le personnage principal qui est inadapté "à la normalité" mais peut être bien, la "normalité" qui n'est pas adaptée à l'être humain, pour peu qu'il cherche un sens.

 Dès lors, il n'y a plus qu'à reposer le livre, à se faire couler un bain et vider sa pensée de cette idée désagréable en écoutant le plic ploc du robinet.

   Extrait

 1) Lorsque j'ai commencé à passer mes après-midi dans la salle de bain, je ne comptais pas m'y installer ; non, je coulais là des heures agréables, méditant dans la baignoire, parfois habillé, tantôt nu. Edmondsson, qui se plaisait à mon chevet, me trouvait plus serein ; il m'arrivait de plaisanter, nous riions. Je parlais avec de grands gestes, estimant que les baignoires les plus pratiques étaient celles à bords parallèles, avec dossier incliné, et un fond droit qui dispense l'usager de l'emploi du butoir cale-pied.

 2) Edmondsson pensait qu'il y avait quelque chose de desséchant dans mon refus de quitter la salle de bain, mais cela ne l'empêchait pas de me faciliter la vie, subvenant aux besoins du foyer en travaillant à mi-temps dans une galerie d'art.

 3) Autour de moi se trouvaient des placards, des porte-serviettes, un bidet. Le lavabo était blanc ; une tablette le surplombait, sur laquelle reposaient brosses à dents et rasoirs. Le mur qui me faisait face, parsemé de grumeaux, présentait des craquelures ; des cratères ça et là trouaient la peinture terne. Une fissure semblait gagner du terrain. Pendant des heures, je guettais ses extrémités, essayant vainement de surprendre un progrès. Parfois je tentais d'autres expériences. Je surveillais la surface de mon visage dans un miroir de poche et, parallèlement, les déplacements de l'aiguille de ma montre.

 4) Un matin, j'ai arraché la corde à linge. J'ai vidé tous les placards, débarrassé les étagères. Ayant entassé les produits de toilette dans un grand sac-poubelle, j'ai commencé à déménager une partie de ma bibliothèque. Lorsque Edmondsson rentra, je l'accueillis un livre à la main allongé, les pieds croisés sur le robinet.

 5) Edmondsson a fini par avertir mes parents.

 
Voir aussi l'article d'Herwann

Publié dans En vrac

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H
Hello, j'avais également bien apprécié ce bouquin qui m'avait également intrigué par sa couverture et son petit résumé...<br /> <br /> http://www.blogculturel.com/article-1490300.html
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N
Et oui ! ou comment "les grands esprits" ou du moins la communauté blog se rencontrent !  ; )
N
ce livre a l'air bien sympathique !! j'ai bien envie de le lire aussi
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N
Il est très bien, l'écriture est très intéressante et l'univers tient à la fois du banal et de l'incongru. Oui, vraiment je le conseille. Il est très court, donc quand on n'a pas encore envie de se lancer dans le pavé de l'été, c'est l'idéal.