Le Voyage de Penazar - François Cervantès - Cie l'entreprise

Publié le par nectar.safran@hotmail.fr

(La friche belle de mai - Théâtre Massalia - 17 mars 2006)

Interprète : Catherine Germain


 Un personnage masqué, merveilleusement habillé de soie orientale, aux couleurs chaudes et ors glisse discrètement le long de la scène, avant que les lumières ne s'allument et que le public fasse silence pour écouter son histoire.

Penazar : les pommettes hautes, deux dents en avant, le regard vif et bleu, qui souligne tellement l'expression de ses yeux qu'ils paraissent immenses. Un personnage et un caractère qui allient une noblesse certaine et plein de petites faiblesses des plus touchantes : un clin d'oeil nerveux qui ponctue ses moments de détresse, comme une façon de rompre le lien avec ce monde qui le tourmente, ces deux quenottes qui rayent discrètement son timbre de voix, un corps qui se déplace, léger, avec élégance et grâce puis qui s'agite, soudain, incontrôlé par son propriétaire, "petit oiseau" affolé, balloté par les vents contraires du destin.

Penazar découvre petit à petit son devenir de marionette. Au départ, il connaît celui qui manie les ficelles ; le "Prince" mais à sa disparition, il cherche son maître, indéfiniement, indéfiniement fidèle.

Jolie fable que ce personnage qui a besoin de donner, de vivre pour et à travers quelqu'un et qui ne trouve pas matière, personne, sens, au pied duquel déposé son dévouement. Une solution demeure, préserver son amour du Prince à travers la poésie, la parole, le rire, l'émotion, une mémoire qui se transforme et se perd sur scène, s'altère au contact de ce monde contemporain qui l'effraie.


Le texte est merveilleux, comme son personnage, comme son interprète. La comédienne ouvre deux parenthèses où elle dépose le masque pour nous parler de son amour de lui, le serviteur qui sert son prince, la comédienne qui sert son personnage, un même amour, un même dévouement, une même fusion. Elle nous le raconte simplement, un brin de fatigue dans la voix et dans le corps, mais profondément généreuse dans ces deux moments où elle nous dévoile cette intimité qui la relie à Penazar, qui la relie à son métier, une vocation de dévouement et de partage, sans jamais céder au renoncement.



Extraits du texte


" L’homme n’arrête pas de mourir, mais il ne l’accepte pas. Il n’est pas tranquille.
Il veut savoir pourquoi il est sur terre.
L’abeille ou le cafard sont identiques depuis des millions d’années, mais lui, il transforme son corps et la planète.
Il sent qu’il n’est pas achevé et qu’il reste un travail à faire, mais lequel ?
Où trouver celui qui nous dira comment achever l’homme, comme un bon parent plein de sagesse et d’attention ?
Il est aussi embêté qu’un ouvrier à qui on n’aurait pas dit ce qu’il fallait faire et qui hésiterait entre partir en vacances ou chercher à en savoir plus.
Il se plaint ; Il est déjà difficile de travailler, si en plus il faut aller chercher celui qui pourra nous dire de quel travail il s’agit, sans savoir où il est, ni qui il est, il y a de quoi jeter l’éponge, monter sur la table et danser jusqu’à perdre la tête : la vie est absurde.
Et l’homme continue à mourir.
Les hippopotames restent des hippopotames, du matin au soir, avec patience et satisfaction ; L’homme les regarde avec envie ;
Dans cette douleur, il lui vient une vision.
D’accord il meurt, mais il est traversé par des choses qui ne meurent pas : la joie, la couleur rouge...
La joie est immortelle. Elle nous traverse comme le vent traverse les feuilles d’un arbre et puis elle continue. La couleur rouge passe d’une cerise à des lèvres d’enfant.
Voilà. Nous sommes mortels, mais nous sommes faits de tout un tas de choses immortelles, qui sont à la fois en nous et hors de nous.
Si nous savions qu’au moment où nous éprouvons une tristesse violente, nous connaissons l’immortalité, nous serions heureux d’êtres tristes.
Pénazar est un personnage dans une grande histoire orientale au treizième siècle, serviteur du Prince de Gelgel. Il est d’une fidélité légendaire.
A la mort de son maître, il quitte son royaume et son époque, il commence un long voyage pour arriver dans une grande ville d’Europe, au vingt et unième siècle. Il est emporté comme une âme errante, changeant de corps comme on change de trottoir.
Sans cesse il meurt et sans cesse il renaît.
Il se fatigue, il perd la mémoire, il a faim et soif, mais il reste fidèle à son Prince.
Pénazar traverse le fleuve de l’humanité.
Il traverse la salle des spectateurs comme une boule d’orage, comme un sentiment ou une couleur.
Il nous donne des nouvelles du passé, de l’invisible, du coeur humain.
Il passe comme une comète. Il nous rappelle que l’éternel n’est pas durable et que le monde des légendes cherche à entrer en contact avec nous pour nous dire quelque chose. "





" … Je suis parti de Java au treizième siècle. Vous allez me croire ou vous allez vous fendre la gueule ? Vous verrez, tout est marqué dans les livres : Penazar Senikan, serviteur du prince de Gelgel. A cette époque un palais c’était petit, comme ici à peu près. Nous étions envahis par les arabes. Ca cognait dehors. Il y avait autant de sang que d’eau et le riz qui poussait était rouge. Le prince de Gelgel méditait dans les pièces sombres du palais. Moi je pétais de trouille, mais je restais fidèle. C’est pour cela que j’étais à son service. J’étais plus fidèle qu’un chien, parce qu’un chien, il est fidèle tant qu’il est chien, mais quand il arrête sa vie de chien, il arrête d’être fidèle.
Tandis que moi, j’étais fidèle pour toujours. C’était mon métier, mon excellence et mon malheur.
Tout le monde savait cela dans le royaume. On écrivait des poèmes sur moi, des chansons et des blagues. L’étalon de mesure du pays, c’était la distance entre nous. On disait que cette mesure était plus sûre que la distance entre la terre et le soleil, parce que les planètes ont des fantaisies et des écarts de conduite que le prince de Penazar n’a pas. … "
" … Laisse couler le sang, viens on va parler. Elle est finie ta vie d’enfant. Ce soir tu meurs pour la première fois. C’est différent maintenant tu vas apprendre chaque geste. Tu n’en feras plus autant qu’avant.. Quant on a de la chance on peut mourir plusieurs fois dans la vie. Demain on jettera tes affaires, on en trouvera d’autres, on apprendra à se connaître, on se parlera moins, tu auras du travail pour apprendre tous tes gestes. Tu vas créer ta vie de toute pièce, des pieds à la tête, tu verras c’est amusant. … "

Publié dans Théâtre

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